L’Égypte et le féminisme

L’Égypte et le féminisme

 

Victoire Radenne

En 2016, Nouran Salah, jeune égyptienne et architecte d’intérieure a fondé l’association « Cairo Cycling Geckos ». Ce projet de charité en collaboration avec des sponsors et ONG consiste à distribuer des repas chauds aux plus démunis durant la période du Ramadan dans la ville du Caire. Fort de par son engagement social, cette association se veut également féministe et écolo. En effet, les repas sont distribués par des jeunes filles… en bicyclette. Pourtant victimes d’un tabou social injustifié, ces femmes osent se déplacer en vélo, bousculent les moeurs et espèrent une évolution visible des mentalités. Cette association ne marque pourtant pas les débuts du mouvement féministe dans le pays du Nil. Le féminisme égyptien est le fruit d’une construction historique portée par un grand nombre de femmes engagées. Au fil des révolutions et des Printemps arabes, le mouvement féministe s’est déployé dans les sphères publiques faisant face à des gouvernements parfois misogynes, souvent autoritaires.

La Révolution : porteuse de féminisme ?  

Alexandra Mikhaïlovana Kollontaï l’a prouvé. Partie prenante de la Révolution d’Octobre en 1917, elle est nommée Commissaire du peuple à l’assistance publique du gouvernement des Soviets devenant ainsi la première femme ministre de l’histoire. Olympe de Gouges, elle, publie le premier document évoquant l’égalité juridique et légale des femmes par rapport aux hommes peu après la Révolution française. C’est ainsi qu’est née l’idée d’une « Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne » en 1791. Et si l’insurrection du peuple permettait la libéralisation de la parole féminine ?

En 1919, date de la révolution contre le colonialisme britannique en Égypte, des Égyptiennes voilées issues de la classe bourgeoise se mêlent aux manifestants dans la lutte pour l’indépendance de leur pays. Organisées par Sophia Zaghloul et Huda Sharawi, des manifestations composées exclusivement de femmes se déroulent dans les rues du Caire. Victimes de viols et d’exactions par certains soldats britanniques, les Égyptiennes ont une revanche à prendre. Fait unique à cette époque, cette lutte commune a permis la création du « Comité central d’Al-Wafd pour les femmes » en 1920.

Près d’un siècle plus tard, lors du Printemps arabe égyptien en 2011, les femmes ont une nouvelle fois prouvé qu’elles seraient ancrées dans l’histoire politique de leur pays. Puisqu’on ne peut revendiquer une société plus démocratique tout en ignorant les droits des femmes, les mouvements féministes ont naturellement occupé une grande place dans la Révolution égyptienne.  C’est ainsi qu’Asmaa Mahfouz et Amal Fathy en sont devenu les symboles. Appels vidéos lancés sur Youtube, mobilisation sur les réseaux sociaux, les femmes ont livré leurs témoignages et ont envahi la sphère publique de la violence sexuelle, des harcèlements de rue et des mutations génitales qu’elles subissent encore à ce jour. Sur la place Tahrir, lieu culte de la révolte égyptienne, 1 manifestant sur 5 était une femme selon l’Organisation Égyptienne des droits de l’Homme.

Nicole Savy, responsable du groupe de travail sur l’égalité hommes-femmes à la Ligue des droits de l’Homme souligne la corrélation évidente entre Révolution et féminisme : « Femmes et hommes étaient unis autour d’une cause commune : c’est avant tout une révolution de la justice et de la liberté. Les droits des femmes sont indivisibles des droits de l’Homme ».

La force de l’éducation et des grandes Femmes

L’éducation est très souvent à l’origine de l’ascension des revendications féministes en Égypte. Jouissant d’un effet libérateur, l’éducation est le tremplin aux revendications populaires et engagées. Huda Sharawi, icône en matière de droits des femmes dans le monde arabe, en est la preuve. Jusqu’à l’âge de 20 ans, elle profite d’une retraite en Haute Égypte pour dévorer la bibliothèque européenne de son père où elle étudie, réfléchit, compare. Durant toute sa vie, elle va multiplier les combats pour les droits des femmes. Elle commence par ôter son voile dans un lieu public, l’accessoire alors indispensable des femmes de la haute société égyptienne. Huda Sharawi participe ensuite à des conférences internationales et en 1920, elle est nommée présidente du Comité central des femmes du Wafd. Cinq ans plus tard, elle créée « L’Égyptienne », une revue en français devenant le support d’opinions politiques progressistes.

Dans les années 50, c’est Doria Shafik, considérée comme une femme « trop moderne » pour son époque, qui va s’engager en faveur de la libération des femmes. À son initiative, un cortège de 1500 femmes va prendre d’assaut le Parlement égyptien en revendiquant un certain nombre de droits : celui de voter, celui d’obtenir l’égalité salariale, celui de jouir d’une plus grande représentativité politique. Doria Shafik s’inspire de son éducation française, où elle obtient un doctorat de philosophie à la Sorbonne. À son retour au Caire, son souhait de donner des cours à l’Université du Caire se voit sévèrement refuser. Elle décide alors de diriger le magazine français « La Femme Nouvelle » prônant l’égalité des droits.

Aujourd’hui, la lutte féministe en Égypte essaie de survivre comme elle peut. En mars 2018, l’organisation Nazra For Feminist Studies, ayant pour but de diffuser des études et informations sur la situation des femmes en Égypte, a dû fermer ses locaux, cause du gel des avoirs de l’organisation et de sa fondatrice Mozn Hassan. La liberté d’expression semble être en berne depuis la présidence du général Abdel Fattah al-Sissi. Attaquées en justice pour diffusion de fausses nouvelles, gel des avoirs des associations, condamnations pénales ; voilà à quoi se risquent les mouvements féministes et démocratiques en Égypte. Malheureusement, la diffamation contre les soulèvements des femmes est à la hausse. Ce sentiment hostile est renforcé par les réseaux sociaux, ces derniers pouvant paradoxalement être le porte-parole des femmes dans cette région du monde. La situation contrastée des femmes en Égypte et la censure des mouvements revendicatifs par le gouvernement militaire d’Al-Sissi brident un grand nombre de libertés. Mais tous les espoirs restent permis. Les Égyptiennes demeurent généralement engagées politiquement et conservent le droit de s’exprimer à travers leurs activités sociales, leurs projets artistiques et culturels. Il reste simplement à espérer que l’âme révolutionnaire du peuple égyptien survive au chaos politique et que le retour d’une puissante lutte féministe ne soit qu’une question de temps.

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